Confinement – comment renégocier vos contrats sur la base de l’imprévision légale ?

Date

3 mai 2020

Par

Henri de La Motte Rouge

Confinement – comment renégocier vos contrats sur la base de l’imprévision légale ?

Date

3 mai 2020

Par

Henri de La Motte Rouge

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La propagation du Covid-19 est à l’origine d’une crise sanitaire sans précédent conduisant au confinement général de la population française. Dans ce contexte difficile, vous êtes nombreux à nous avoir interrogé sur la continuation de certaines de vos relations contractuelles, notamment lorsqu’un changement important de circonstances déséquilibre votre accord. Face à cette situation inédite, sachez que vous pouvez, sous certaines conditions, renégocier vos contrats sur la base de l’imprévision légale. On vous explique comment.

Imprévision légale : qu’est-ce que c’est ?

Que dit l’article 1195 du Code civil ?

L’imprévision légale est prévue par l’article 1195 du Code civil. Voici ce qu’il contient :

Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

Par conséquent, si certaines conditions sont remplies, l’article 1195 vous permet en cas d’imprévision :

  • de renégocier votre accord avec votre co-contractant ;
  • à défaut, de saisir le juge pour réviser le contrat ou y mettre fin.

Bon à savoir : force majeure et imprévision, est-ce la même chose ?Comme l’imprévision, la force majeure implique un événement imprévisible au moment de la conclusion du contrat. Cependant, alors que la force majeure rend votre contrat impossible à exécuter, l’imprévision rend seulement votre prestation excessivement coûteuse. Il s’agit donc bien de deux fondements juridiques différents.

Quelles sont les conditions à remplir pour bénéficier de l’article 1195 ?

1e condition : les circonstances doivent être imprévisibles

Par définition, l’imprévision n’est caractérisée que si les parties n’étaient pas en mesure de prévoir le changement lors de la signature du contrat. Cette condition doit s’apprécier par rapport à un professionnel du même secteur, normalement prudent et diligent. À l’évidence, l’épidémie de Coronavirus constitue donc bien un tel changement de circonstances imprévisibles.

Attention cependant, un contrat signé après le début de la pandémie ne remplira probablement pas cette condition. D’autres événements sont traditionnellement considérés comme imprévisibles :

  • Un changement politique brutal (embargo, conflit armé, etc.).
  • Une augmentation importante du prix des matières premières.
  • Un changement de législation ne pouvant pas être raisonnablement anticipée.
  • La rupture de stock d’un produit essentiel à la prestation obligeant l’achat d’un produit plus coûteux.

À noter qu’un changement peut être prévisible par nature, mais imprévisible par l’ampleur de ses conséquences. A contrario, ne sont pas considérées comme des circonstances imprévisibles :

  • Le succès commercial d’un produit dont le brevet a été donné en licence pour une bouchée de pain.
  • Une modification réglementaire, pour peu qu’elle ne soit pas brutale, sera considérée comme prévisible pour un professionnel du secteur.

2e condition : l’exécution contractuelle doit être excessivement onéreuse

Vous ne pourrez pas vous prévaloir de l’article 1195 du Code civil simplement parce que l’exécution de votre contrat vous revient plus cher qu’initialement prévu. Vous allez devoir démontrer que le coût supplémentaire est tel qu’il rend votre prestation économiquement intenable. Pour expliquer l’accroissement substantiel des coûts, citons par exemple l’augmentation des prix de certains produits ou des tarifs de vos propres prestataires ou fournisseurs.

Bon à savoir : mon client n’a plus besoin de mes services suite au confinement, peut-il invoquer l’article 1195 ? Non, la perte d’intérêt d’un contrat ne se règle pas sur le fondement de l’imprévision. La disparition d’un élément essentiel d’un contrat devrait plutôt s’envisager sur la base de l’article 1186 du Code civil. Cette solution reste néanmoins incertaine, car la notion même d’élément essentiel du contrat reste fortement débattue.

3e condition : vous ne devez pas avoir accepté d’assumer les risques imprévus

Avez-vous, ou non, accepté d’assumer les risques liés aux événements imprévus entraînant un coût excessif ? Pour le savoir, regardez les clauses de votre contrat. Si c’est le cas, vous ne pourrez malheureusement pas utiliser l’article 1195 du Code civil pour renégocier votre contrat. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Renégocier son contrat pour imprévision : comment s’y prendre ?

Étape 1 : Quelle est la date de votre contrat ?

Tout d’abord, vérifiez la date de conclusion de votre contrat. En effet, l’article 1195 ne s’applique qu’aux contrats conclus, reconduits ou renouvelés après le 1er octobre 2016.
Exemple : Votre contrat a été signé le 10 janvier 2014. Impossible de le renégocier sur la base de l’article 1195 du code civil.
Exemple : Vous avez signé un contrat le 15 octobre 2015 pour un an, reconductible tacitement. Ce contrat n’a pas été dénoncé et le 15 octobre 2016, a été reconduit pour un an. Vous pouvez effectivement bénéficier des dispositions de l’article 1195 du Code civil.

Étape 2 : Quel est le contenu de votre contrat ?

Il s’agit de vérifier si une clause de votre contrat exclut les bénéfices de l’imprévision prévue par l’article 1195.

Étape 3 : Quelles sont les circonstances imprévisibles et leurs impacts

Vous allez devoir maintenant déterminer les circonstances que vous considérez comme imprévisibles et établir leur lien avec l’excessif coût de votre prestation.

Étape 4 : Rédiger une demande de renégociation

Celle-ci doit être claire et précise afin que votre cocontractant comprenne bien votre demande et puisse correctement l’évaluer. Pour cela, listez avec précision les raisons de votre demande ainsi que les termes que vous souhaitez renégocier. Assurez-vous d’ailleurs que votre demande ait du sens. Elle doit vous permettre d’exécuter votre contrat dans de bonnes conditions une fois la renégociation effectuée.

Étape 5 : Si votre cocontractant refuse votre demande

Votre cocontractant peut refuser explicitement votre demande ou bien, tout simplement ne pas vous répondre. Dans ce cas, après un délai raisonnable, vous avez la possibilité de saisir le juge d’une demande de révision ou d’annulation de votre contrat. Comment réagir à la demande de renégociation d’un de vos clients ? Il est souvent préférable d’accepter de renégocier un contrat plutôt que d’être confronté à l’inexécution de ce dernier. Prenez donc le temps de bien évaluer la demande de votre cocontractant et son fondement. Proposez lui d’abord quelques petits ajustements (une remise de prix , par exemple). Si cela est possible, la suspension du contrat, jusqu’à la fin du confinement par exemple, peut être une solution acceptable pour tout le monde. Dans le cas contraire, négociez les points qui posent problème et tentez de trouver un accord à l’amiable. En effet, même si dans certains cas l’intervention d’un juge peut permettre de trouver une solution satisfaisante, il est toujours préférable que les parties aboutissent seules à un accord.

En tout état de cause, n’affrontez pas ces demandes seul dans votre coin. Un avocat peut vous conseiller et vous aider à renégocier votre contrat dans de bonnes conditions.

Imprévision contractuelle : voici ce que vous devez savoir

Pouvez-vous contractuellement renoncer ou aménager l’article 1195 du Code civil ?

La jurisprudence et la doctrine ne sont pas tranchées sur le fait de savoir si l’imprévision contractuelle est d’ordre publique (c’est-à-dire s’applique immédiatement). En revanche, rien ne s’oppose à ce que vous insériez dans vos contrats une clause qui aménagent ou écartent l’article 1195 du code civil. Cependant, votre clause doit respecter certaines limites :

  • La clause d’aménagement ne doit pas vider de leur substance les obligations contractuelles.
  • Elle ne doit pas créer de déséquilibre entre les parties.
  • Dans un contrat avec un consommateur, elle sera très probablement considérée comme abusive.

Quelles sont les dispositions contractuelles envisageables ?

Il peut s’agir de clauses générales excluant totalement la notion d’imprévisibilité. Dans ce cas, vous acceptez, lors de la conclusion du contrat, d’assumer entièrement les risques découlant d’un changement de circonstances, quel qu’il soit. Voici un exemple : « Les Parties renoncent expressément et irrévocablement au bénéfice des dispositions de l’article 1195 du code civil dans le cadre du présent Contrat ».

Certaines clauses peuvent néanmoins être plus nuancées et précises. Appelées clauses de hardship, elles sont fréquentes dans les contrats internationaux. Ces clauses doivent impérativement être rédigées avec précaution avec l’aide d’un avocat. En effet, en cas d’intervention d’un juge, celui-ci procèdera à l’interprétation stricte de leur contenu.

Voici des exemples de ce que vous pouvez envisager :

  • Inclure une liste des changements de circonstances dont vous ne souhaitez pas assumer les conséquences (changement de législation ou encore d’une évolution technologique majeure par exemple).
  • Fixer un pourcentage d’augmentation des coûts au-dessus duquel la révision sera automatiquement engagée.
  • La révision du contrat sera-t-elle confiée à un juge, un médiateur ?
  • Quelles sont les clauses qui devront être revues ?
  • Quelles sont les délais de renégociation ?
  • Quelles sont les conséquences de la révision (caducité, indexation du prix, etc.) ?

En cas d’événement exceptionnel tel que la crise sanitaire du Covid-19, l’imprévision prévue par l’article 1195 du Code civil est une solution qui mérite d’être explorée. Elle permet en effet de s’adapter à chaque situation et de prévoir une réponse graduée. Si vous souhaitez renégocier un contrat, d’autres clauses comme celles relatives à l’indexation du prix, peuvent être intéressantes. En tout état de cause, pour rédiger votre contrat ou renégocier son contenu en cas de circonstances imprévues, faites appel à un avocat. Il saura vous conseiller et vous accompagner tout au long du processus.

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