Arrêt Uber et requalification du contrat de travail : quelles conséquences pour les web entrepreneurs ?

Date

6 mars 2020

Par

Henri de la Motte Rouge

Arrêt Uber et requalification du contrat de travail : quelles conséquences pour les web entrepreneurs ?

Date

6 mars 2020

Par

Henri de la Motte Rouge

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En 2018, la Cour de cassation avait déjà requalifié le lien contractuel entre les livreurs à vélo et la société Take Eat Easy en relation de travail. Cette fois, dans un arrêt du 4 mars 2020, la haute juridiction s’attaque au géant Américain des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Elle affirme ainsi que le statut d’indépendant des chauffeurs travaillant pour Uber est fictif. Une décision qui pourrait bouleverser le modèle économique des plateformes Internet et obliger les entrepreneurs du web à faire preuve de prudence lors de l’embauche de freelances.

Rappel des faits et du contenu de l’arrêt

En octobre 2016, après avoir signé un formulaire d’enregistrement de partenariat, un chauffeur, que nous appellerons Monsieur X, débute son activité de VTC via la plateforme Uber. Pour cela, il loue un véhicule auprès d’un partenaire de Uber et s’enregistre au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité intitulée « transport de voyageurs par taxis ».

En avril 2017, Uber désactive le compte du chauffeur sur sa plateforme. Monsieur X saisit alors les prud’hommes afin d’obtenir la requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail.

La 4 mars 2020, la Cour de cassation se base sur les trois critères qui caractérisent le lien de subordination (direction, contrôle et pouvoir de sanction) pour déclarer fictif le statut d’indépendant des chauffeurs Uber.

Arrêt Uber : les plateformes collaboratives mises en danger

Pour Uber, comme pour toutes les autres plateformes de VTC, cet arrêt de la Cour de cassation marque un tournant décisif. Il confirme l’application des critères traditionnels du contrat de travail (direction, contrôle et sanction) aux plateformes Internet.

L’application du droit du travail

À partir d’aujourd’hui, les chauffeurs VTC pourraient, sous certaines conditions et dans la mesure où ils sont dans la situation jugée, se prévaloir de cette décision pour solliciter la requalification de leur situation en contrat de travail. Ils bénéficieraient alors de l’ensemble des droits attachés au statut de salarié :

  • durée légale du travail ;
  • salaire minimum ;
  • modalités relatives aux heures supplémentaires ;
  • congés payés ;
  • formation professionnelle ;
  • droit au chômage, etc.

Il ne fait aucun doute que, d’autres freelances travaillant pour d’autres types de plateforme, pourraient, eux aussi, faire valoir leurs droits dans le cadre de cette décision.

URSSAF et concurrence déloyale : des conséquences indirectes

Notons également que cette décision engendre également deux autres conséquences importantes. Tout d’abord, la requalification en contrat de travail peut justifier des redressements de cotisations sociales par l’URSSAF. Les montants concernés peuvent être colossaux. Si certaines sociétés peuvent, sans doute, survivre à de telles sanctions, d’autres pourraient voir leur équilibre financier mis à mal. Enfin, les concurrents d’une plateforme, utilisant le salariat pour leur activité, pourront utiliser cette décision pour une action en concurrence déloyale. L’arrêt Uber est donc important. Il impacte directement le modèle économique des plateformes collaboratives et de l’ubérisation.

Entrepreneur du Web : attention à vos freelances

En tant que web entrepreneur, il s’agit sans aucun doute de l’enseignement principal de la jurisprudence Uber : vous devez prendre certaines précautions lorsque vous décidez de faire appel à un freelance. D’ores et déjà la localisation de votre freelance (il travaille chez lui) a donc une influence minime. Le risque de requalification de votre relation se base sur les trois critères suivants qui sont appréciés in concreto :

  • la direction ;
  • le contrôle ;
  • le pouvoir de sanction.

Qui dirige effectivement la prestation ?

Un freelance doit évoluer dans un système qui lui offre une certaine liberté quant à l’exécution de sa prestation. Celle-ci ne doit donc pas être entièrement verrouillée par le donneur d’ordre. Dans l’arrêt Uber, la Cour de cassation a ainsi constaté que le service de VTC était entièrement régi par Uber. La société décide notamment des « tarifs et des conditions d’exercice de la prestation de transport ». Par ailleurs, elle note que le chauffeur ne dispose pas de sa propre clientèle. Selon la Cour de cassation, Uber ne doit donc pas être considéré comme un simple intermédiaire entre les VTC et les clients.

Ainsi, imposer une grille tarifaire, des outils de travail, ainsi qu’un temps précis et une organisation à vos freelance est susceptible de vous exposer à un risque important de requalification.

Avez-vous un pouvoir de contrôle sur vos freelances ?

Pour qu’aucun lien de subordination ne puisse être établi entre vous et les freelances auxquels vous faites appel, vous ne devez pas disposer de pouvoir de contrôle à leur égard. Là encore, la Cour de cassation a estimé qu’Uber dispose justement d’un tel pouvoir (itinéraires imposés, prix de la course déterminé par Uber, temps de réponse pour accepter la course fixé par Uber, etc.). De ce fait, les chauffeurs freelances ne sont pas réellement indépendants.

Une clause du contrat liant les parties attire tout particulièrement l’attention de la Cour de cassation : Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber.

D’après la Cour, cela conduit les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant.

Le pouvoir de sanctions de Uber

Enfin, vous ne devez pas disposer d’un pouvoir de sanctions sur les freelances avec lesquels vous travaillez. À cet égard, la Cour note qu’Uber possède des pouvoirs de sanctions sur les chauffeurs VTC qui utilise sa plateforme. Elle note notamment :

  • les corrections de tarifs effectuées par Uber si le chauffeur choisi un « itinéraire inefficace » ;
  • la possibilité pour Uber de supprimer le profil du chauffeur après trois refus de courses ;
  • la fermeture du compte du chauffeur lorsque des « comportements problématiques » sont rapportés par les clients.

Selon la Cour de cassation, tous ces éléments caractérisent le lien de subordination existant entre le chauffeur et la plateforme Uber. Elle confirme, par conséquent, la position empruntée par la Cour d’appel. Ainsi, il est préférable d’avoir un système de résiliation de la mission de votre Freelance avec un préavis préalablement défini ou une possibilité de rupture pour faute qui s’appuie sur des comportements objectifs et neutres. Par ailleurs, la Cour considère que ce lien de subordination n’est pas affaibli par la possibilité pour le chauffeur de pouvoir choisir ses jours et heures de travail.

À noter également, que le fait de travailler à distance ne supprime pas la possibilité d’un lien de subordination. Seuls l’analyse des critères mentionnés permettent d’établir l’existence ou non de ce lien.

Pour limiter les risques de requalification, il existe des solutions contractuelles et opérationnelles à mettre en place. Pour en savoir plus, contactez dès maintenant un avocat spécialisé en droit et du travail numérique. Il vous proposera des clauses adaptés à votre activité et saura vous conseiller sur les pratiques à éviter et celles que vous pouvez mettre en oeuvre sans risque.

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