Comment faire face à un problème d’e-réputation sur les plans techniques et juridiques ?

Date

26 juin 2020

Par

Henri de la Motte Rouge et Dehlia De Faria

Comment faire face à un problème d’e-réputation sur les plans techniques et juridiques ?

Date

26 juin 2020

Par

Henri de la Motte Rouge et Dehlia De Faria

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Votre réputation en ligne (ou e-réputation) est primordiale. Il résulterait d’études que :
– 88 % des consommateurs s’appuient sur les commentaires en ligne pour se forger une opinion ;
– l’augmentation d’une étoile pourrait correspondre à une augmentation de 10% du chiffre d’affaires ;

Votre réputation sur Internet est donc cruciale et les risques sont multiples et tendent à être de plus en plus importants : perte de chance d’accéder à un emploi face à un recruteur vigilant à l’image numérique véhiculée par le candidat, perte d’une clientèle face à des avis médiocres sur Internet. En matière d’e-réputation, vous devez distinguer deux situations bien particulières qui déterminent la stratégie de prise en charge. Schématiquement, face à un contenu qui porte atteinte à votre e-réputation, vous devez vous demander si vous faites face à un contenu illégal (1) ou licite (2).

1. Faire face à un contenu illicite : que dit la loi et quels sont les angles d’action ?

En matière d’e-réputation, il existe un arsenal juridique pour vous défendre, dès lors qu’il y’a un « abus » à la liberté d’expression.

Les infractions relatives au droit de la presse : la diffamation et l’injure

Attention, ces infractions répondent à des conditions précises qu’il convient de maîtriser.

La diffamation

La diffamation est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. Ainsi, pour être constituée, l’infraction nécessite deux conditions : d’une part, l’imputation d’un fait précis se rapportant à une personne et d’autre part, ce fait doit porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps. Par exemple, il a été jugé diffamatoire, les propos suivants publiés sur un site internet et critiquant les méthodes de management d’une société : méthodes de management de premier niveau par les menaces, les intimidations, l’humiliation ; des convocations « gestapo » comme certains d’entre nous les appelle : 3 personnes en face de vous à pointer la moindre petite chose que vous faites (TGI, 17e ch. Correctionnelle, 13 janvier 2015).

Il convient de distinguer :

  • la diffamation non publique (lorsque les propos sont tenus dans un cercle restreint de personnes, type groupe privé Facebook) qui est constitutive d’une contravention de 1ère ou 5e classe selon les cas (soit 38 € ou 1 500€) ;
  • de la diffamation publique (lorsque les propos s’adressent à un cercle non-restreint de personnes, notamment par le biais de groupes et publications publiques via les réseaux sociaux), qui est constitutive d’un délit et est donc plus sévèrement réprimée (entre 12 000 € et 45 000 € d’amende notamment et selon les cas) ;

Il est à noter que l’infraction de diffamation peut être neutralisée par un certain nombre d’exceptions, et notamment l’exception de vérité qui donne en général lieu à un débat contradictoire important et nécessite de solides arguments de défense.

L’injure

De son côté, l’injure est définie comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait (art. 29 de la loi du 29 juillet 1881). À l’inverse de la diffamation, l’injure ne nécessite pas l’imputation de fait précis qui peuvent donner lieu à un débat contradictoire. L’injure peut être entendue comme dépassant plus largement ce qui est considéré dans le langage courant comme une insulte. À titre d’exemple, ont été qualifiés d’injure les termes Entre Docteur Y et H, car le Tribunal a jugé que l’association du nom de ce dernier – escroc mondialement connu, dont les agissements frauduleux ont entraîné la ruine de très nombreuses victimes et ont fait de lui un personnage objet de l’opprobre générale – avec le nom du demandeur étant incontestablement outrageante pour ce dernier. (TGI Paris, 17e ch. Presse-civile, 19-01-2011). Comme pour la diffamation, l’injure peut être non-publique ou publique (art. 29 de la loi du 29 juill. 1881) et peut être neutralisée, pour sa part, par l’excuse de provocation.

Règles communes

Dans tous les cas, les sanctions prévues pour la commission de ces infractions varient en fonction du caractère public ou non des propos tenus, de la nature parfois particulière de ces propos (racistes, homophobes, etc…) ainsi que du statut de la victime (particulier, magistrat, élus, etc.), ou encore du type d’action engagée (devant les juridictions civiles ou pénales). Elles sont aussi soumises à des règles de procédures spécifiques dont un délai pour agir très court de 3 mois à compter de la commission de l’infraction. Il existe également des possibilités d’agir via des procédures d’urgence quand l’atteinte est flagrante (injure). Enfin, lorsque le contenu est manifestement illicite et vise certains propos, il est possible de faire des notifications de contenu illicite à l’hébergeur du contenu (Google, Facebook, Youtube, forum…) en vue de demander de procéder à son retrait. Attention, les notifications doivent être conformes à l’article 6 de la LCEN car c’est la condition pour que l’hébergeur intervienne « promptement » dès lors qu’il est informé du caractère illicite. Sur ce point, la Loi AVIA vise à accélérer la suppression des contenus « haineux » par les hébergeurs (Le 18 juin 2020, la loi AVIA a été partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel – À suivre).

Les atteintes à votre activité économique : le dénigrement, le parasitisme et la contrefaçon

En tant qu’entreprise, vous pouvez aussi être victime d’actes de dénigrement, de parasitisme ou bien de contrefaçon des produits ou services que vous proposez à la vente.

Le dénigrement

Le dénigrement consiste à porter atteinte à l’image en jetant le discrédit sur un commerçant, sur le fonctionnement de son entreprise ou sur ses produits. Ce fondement juridique est fondé sur la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du Code civil. Par exemple, la divulgation à la clientèle d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu’elle ne repose que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constitue un dénigrement fautif (Cass com. 09-01-2019).

Le parasitisme

Le parasitisme est l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (not. Cass. com. 26-01-1999). Le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. com. 12-06-2012), peut être établi même en l’absence de toute situation de concurrence (Cass. com. 30-01-1996) et suppose une diffusion des agissements fautifs auprès de personnes autres que la victime. Par exemple, a été qualifié d’acte de parasitisme, pour un ancien agent « Citroën », de se présenter comme « citroëniste indépendant » sur ses documents publicitaires et d’apposer sur le toit de son garage une enseigne « Citroëniste » avec les lettres « iste » écrites en plus petit corps (Cass. com. 29-06-1993). Le parasitisme est fondé sur la responsabilité civile délictuelle des articles 1240 et 1241 du Code civil.

La contrefaçon

Le délit de contrefaçon recoupe notamment toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de son auteur, tels qu’ils sont définis et encadrés par la loi, mais aussi toute atteinte à une marque. Par exemple, a été jugé contrefaisante, par rapport à la marque verbale française « MFM », le dépôt, par une société de radiodiffusion concurrente, de la marque verbale « MFMTV » pour désigner les mêmes produits et services (CA Paris, Pôle 5, ch.1, 17-12-2019). Dans ces trois cas que nous venons de vous exposer, vous avez donc la possibilité d’agir en justice aux fins d’obtenir une réparation financière de votre préjudice économique. Là encore, sachez qu’il est possible d’agir auprès des hébergeurs pour faire cesser les violations et que ces derniers sont particulièrement réceptifs, notamment en matière de contrefaçon de marque. Il est donc très important d’avoir une marque enregistrée pour obtenir des suppressions effectives et efficaces des contenus contrefaisants.

Le Chantage aux avis

Dans certains cas malheureusement trop fréquents, certains clients malintentionnés ont recours à un véritable chantage. En substance, si vous ne leur accordez pas un avantage, ils vous mettent un mauvais commentaire. Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 312-10 du Code pénal, le délit de chantage est le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou bien quelconques. Oui, le chantage au faux avis est un chantage au sens pénal du terme ! Il est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000€ d’amende lorsque « l’auteur a mis sa menace à exécution » (art. 312-11 du Code pénal). Face à une menace de ce type, demandez à la personne de formaliser par écrit sa demande, cela constituera un bon moyen de preuve pour la dissuader d’aller plus loin par la suite et de retirer son commentaire.

2. Les contenus en ligne licites mais qui portent atteinte à votre réputation : nos préconisations pour y faire face !

Dans un certain nombre de cas, la réponse juridique n’est pas adaptée. De fait, une critique légitime de vos produits et services par un véritable consommateur n’est pas illégale. Malgré tout, ces propos licites négatifs peuvent s’avérer gênants et préjudiciables dans le cadre de votre activité.

Pourquoi les commentaires négatifs doivent-ils être pris au sérieux ?

D’abord, ils sont essentiels à la crédibilité de votre business.

En effet, selon une étude de l’Ifop, 88 % des consommateurs s’appuient sur les commentaires en ligne pour se forger une opinion. L’augmentation d’une étoile pourrait correspondre à une augmentation de 10% du chiffre d’affaires.

Parfois, dans le cas d’un client de bonne foi, ils doivent être entendus car ils peuvent aussi constituer des retours d’expérience précieux pour vous améliorer.

Rappelez-vous, seule une minorité de clients se plaignent. Les clients insatisfaits/déçus ne représentent qu’une petite partie des clients qui peuvent être déçus. D’ailleurs, un client mécontent est souvent un potentiel très bon client qui a été déçu. Il a besoin d’attention. Il n’est pas rare de transformer un mécontentement en nouvel achat. Dans certains cas, vous pouvez supprimer vous-même les commentaires négatifs (ex : Facebook Ads ou Youtube). Dans ces cas, n’hésitez pas à supprimer les commentaires inutiles auxquels il ne sert à rien de répondre. Côté Mindset, rappelez-vous que les « haters » font partie du jeu et que vous ne pouvez pas être « aimé » par tout le monde !

Nos préconisations pour faire face à un contenu licite qui vous porte atteinte et que vous ne pouvez pas supprimer.

La plupart des services ne vous permettent pas de supprimer un commentaire négatif licite. Ces derniers peuvent être associés à des entreprises sur des moteurs de recherche (Google + et Google My Business, Trustpilot, Alatest, TripAdvisor) ou directement sur les plateformes (Amazon, Airbnb, Booking…) Répondre à des avis négatifs et gérer un problème réputationnel, en général, nécessitent une parfaite compréhension de l’environnement technique et juridique et de faire preuve de professionnalisme. Adopter une distanciation objective et avoir une maîtrise de la gestion des conflits est très important. Pour ces différentes raisons et, de par l’expérience acquise dans des dossiers sensibles, notre cabinet est souvent amené à accompagner aussi ses clients dans des cas où l’aspect juridique est secondaire.

Nous vous livrons quelques principes fondamentaux à connaître :

1. Ne pas laisser une critique publique sans réponse

Répondre, c’est montrer que vous accordez de l’attention au problème et à la difficulté et c’est souvent la première chose qu’attend un client qui a besoin qu’on l’écoute. Sachez que vous avez également le droit de faire un droit de réponse « officie l» prévu par l’article 6-IV de la LCEN, ce qui peut être approprié en cas de critiques où aucune réplique n’est possible (exemple d’un article ou un blog). Attention, là encore, les règles de recevabilité sont strictes et doivent être bien maîtrisées (prescription 3 mois, taille et formalisme de la réponse…).

2. Rappelez-vous, votre objectif : « déminer »

Ne soyez pas sur la défensive et irrespectueux. Vous êtes lus par tous vos autres prospects et jugés sur la manière de résoudre le conflit.

3. Établir le dialogue pour échanger, ensuite, en privé

Pour ne pas exposer les problématiques en public, soyez succincts et demandez au client mécontent de vous contacter en privé ou prenez attache directement avec lui. Concrètement, dans votre réponse :
1. Faites part de vos sincères regrets (en revanche, et sauf cas exceptionnel, les grandes excuses publiques doivent être évitées car elles constituent une reconnaissance de culpabilité alors qu’on vous demande juste de reconnaître le problème)
2. Montrez que la satisfaction de vos clients est primordiale
3. Demandez des détails et invitez le client à prendre attache avec vous

Par exemple : Nous avons pris note de votre avis qui est important pour nous. Nous regrettons sincèrement que notre service n’ait pas correspondu à vos attentes. La satisfaction et le service à nos clients sont très importants. Nous vous proposons de prendre attache avec nous pour comprendre ce qui s’est passé et voir si une solution peut vous être proposée.

Par la suite :
1. Pensez : Remboursement partiel/Remplacement du produit/Offre d’un produit Bonus. Rappelez-vous du vrai « coût » d’un mauvais avis
2. Attention cependant aux logiques « d’appel d’air »

En tout état de cause, il est important de « Noyer le poisson ». Vous devez rapidement faire en sorte que l’avis négatif soit relayé au second plan. Pour renforcer votre réputation, n’hésitez pas à faire appel à votre communauté. Enfin, dans certains cas spécifiques, il existe des solutions techniques efficaces qui peuvent parfois être mises en place .

Face à un problème d’e-réputation, que ce soit pour la qualification juridique ou pour une stratégie de réponse optimisée, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’avocats experts.

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