Marque tombée en désuétude : peut-on encore l’utiliser ?

Date

23 juin 2025

Par

Henri de la Motte Rouge

Marque tombée en désuétude : peut-on encore l’utiliser ?

Date

23 juin 2025

Par

Henri de la Motte Rouge

Partager

Partager

Une marque est un signe distinctif permettant d’identifier les produits ou les services d’une entreprise. Elle peut prendre la forme d’un mot, d’un logo, d’un slogan, ou encore d’un son ou d’une couleur. Pour être protégée, la marque doit être enregistrée auprès d’un office de propriété industrielle, l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) pour la France. Cette protection confère à son titulaire un monopole d’exploitation valable dix ans, renouvelable indéfiniment.

Mais que se passe-t-il lorsqu’une marque n’est plus enregistrée ni utilisée ? Peut-elle être librement reprise par un tiers ? Quels sont les risques encourus, notamment en matière de contrefaçon ou de concurrence déloyale ?

Le cabinet d’avocats TLMR vous éclaire sur les enjeux juridiques liés à l’usage d’une marque tombée en désuétude.

Qu’est-ce qu’une marque tombée en désuétude ?

Définition de la désuétude d’une marque

La désuétude d’une marque désigne, en pratique, la situation d’un signe anciennement protégé, non renouvelé à l’échéance de sa période d’enregistrement, et non exploité depuis plusieurs années. Elle ne fait l’objet d’aucune définition dans le Code de la propriété intellectuelle. Il s’agit donc d’un état de fait, et non d’un concept juridique reconnu en tant que tel.

Une marque désuète est donc une marque autrefois enregistrée, mais dont la protection a pris fin, et qui n’est plus utilisée dans la vie des affaires. C’est souvent le cas de marques emblématiques abandonnées depuis longtemps par leurs titulaires.

Désuétude, dégénérescence et déchéance : quelles différences ?

La désuétude et la dégénérescence désignent deux états différents que peut connaître une marque au fil du temps. La déchéance est, en revanche, un mécanisme juridique prévu par la loi, qui peut être prononcé en cas de non utilisation d’une marque enregistrée.

La désuétude : un abandon pur et simple

Comme nous venons de le voir, la désuétude résulte du non-renouvellement volontaire ou accidentel d’une marque arrivée à expiration. La marque n’est plus protégée et sort du monopole de son ancien titulaire. Elle tombe alors dans le domaine public.

Elle peut, dans certains cas, être reprise librement par un tiers, sous réserve de ne pas créer de confusion ou d’agir de manière frauduleuse (cf. infra).

La dégénérescence : une marque devenue un nom générique

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle la marque, du fait de son usage dans le commerce, est devenue le nom usuel d’un produit ou service.

Exemple célèbre : “escalator”, initialement une marque déposée, est devenu un nom commun. Dès lors que le public ne perçoit plus le signe comme une indication d’origine commerciale, la protection peut tomber.

La déchéance : un mécanisme légal prévu à l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle

La déchéance peut être prononcée par les tribunaux à la demande d’un tiers, lorsqu’une marque toujours enregistrée n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant cinq années consécutives, sans motif légitime.

Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux […] pendant une période ininterrompue de cinq ans.” (article L. 714-5 CPI).

La marque est alors annulée pour les produits ou services non exploités, et tombe dans le domaine public, tout comme une marque désuète. À noter que cette déchéance peut seulement être partielle si le titulaire de la marque parvient à prouver que le signe est bien utilisé pour certains des produits ou services visés par la protection.

La dégénérescence d’une marque peut elle aussi entraîner sa déchéance en vertu de l’article L. 714-6 du Code de propriété intellectuelle (CPI).

Bon à savoir : une stratégie de marque consiste bien souvent à déposer plusieurs variantes d’un même signe (en couleur et en noir et blanc, avec ou sans accent, dans différentes typographies, etc.). Si cette approche peut sembler protectrice, elle comporte un risque. La déchéance des versions qui ne sont pas exploitées de manière sérieuse pendant cinq années consécutives peut être prononcée. En effet, après des années d’hésitations jurisprudentielles, il est désormais acquis que l’usage d’une seule marque au sein d’une famille de marques similaires ne suffit pas, en soi, à préserver les autres déclinaisons de la déchéance, dès lors que celles-ci ne sont pas individuellement exploitées. Le titulaire devra donc démontrer un usage effectif pour chaque dépôt et prouver que les marques concernées ne sont pas de simples marques dites défensives, c’est-à-dire “des marques dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée” (CJUE, 25 octobre 2012, affaire Rintisch c/ Klaus Eder, C‑553/11).

Utiliser une marque désuète : quels sont les risques ?

Avant de vous lancer dans l’exploitation d’une marque abandonnée, il est essentiel de bien comprendre le cadre juridique applicable. Reprendre une marque désuète est possible, mais pas sans conditions, ni quelques précautions.

Une liberté de principe

Lorsqu’une marque est tombée en désuétude, c’est-à-dire qu’elle n’est plus enregistrée ni exploitée, et qu’aucun droit privatif ne lui est rattaché, elle peut, en principe, être reprise par un tiers. Le signe devient alors une res nullius, c’est-à-dire un bien sans maître, que n’importe qui peut s’approprier dans le respect du droit.

Ce principe repose sur la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi que sur celle de la libre concurrence. La jurisprudence admet explicitement qu’en l’absence de protection par le droit des marques, l’usage d’un signe ancien n’est pas fautif en soi (arrêt CA Paris, 18 novembre 2011).

Le seul usage de la dénomination, qui ne fait plus partie d’une marque protégée, ne peut caractériser une concurrence déloyale, mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence.

Autrement dit, l’abandon d’un signe distinctif prive son titulaire de tout monopole. Il ouvre théoriquement la voie à sa réutilisation libre, notamment pour des produits ou services nouveaux.

Attention : ce principe s’applique uniquement si la marque n’est plus protégée et ni utilisée à la date de reprise. Il est donc impératif de vérifier l’état juridique du signe avant toute exploitation.

Pas de risque de contrefaçon

Vous redoutez peut-être une action en contrefaçon de la part de l’ancien titulaire ? Ce risque est écarté si aucun droit de marque n’est en vigueur au moment où vous utilisez le signe.

L’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle pose très clairement que “Toute atteinte portée à un droit de marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.” Encore faut-il que le droit existe toujours. En l’absence de dépôt valable, aucune action en contrefaçon ne peut être engagée. Le monopole juridique disparaît avec la marque.

Sur ce point, la jurisprudence est constante. Une action en contrefaçon n’est recevable que si la marque est protégée au moment des faits reprochés. Ainsi, aucune atteinte postérieure à la perte de protection ne saurait être qualifiée de contrefaçon, même si le signe repris est identique à celui qui fut, un temps, emblématique.

Un risque résiduel : la concurrence déloyale

Si le risque de contrefaçon est écarté, vous devez néanmoins rester vigilant sur le terrain de la concurrence déloyale.

Reprenons ici l’affirmation de la Cour d’appel de Paris du 18 novembre 2011 citée plus haut :

Le seul usage de la dénomination, qui ne fait plus partie d’une marque protégée, ne peut caractériser une concurrence déloyale.

Vous pouvez donc, en principe, utiliser une marque désuète sans risquer une action en concurrence déloyale. Néanmoins, c’est à condition de respecter certaines limites.

Vous devrez éviter :

  • de créer une confusion dans l’esprit du public ;
  • d’imiter la présentation ou l’univers graphique de la marque d’origine ;
  • d’adopter une stratégie susceptible de parasiter sa réputation passée.

Dans une décision du TGI de Paris du 4 mai 1987, la reprise fautive d’une marque abandonnée a été sanctionnée au titre de la concurrence déloyale. Le juge a considéré que l’usage du signe n’était ni loyal ni neutre.

Dans un arrêt du 15 octobre 1996, la Cour de cassation a jugé que le dépôt d’une marque désuète peut être considéré comme frauduleux si les deux conditions suivantes sont réunies :

  • le déposant a connaissance de l’existence de l’ancienne marque au moment du dépôt ;
  • il agit de mauvaise foi, avec par exemple l’intention de nuire ou de profiter de la notoriété de la marque abandonnée.

Enfin, si vous recréez une identité visuelle trompeuse, ou si votre communication laisse penser à une filiation commerciale avec l’entreprise d’origine, cela pourra être interprété comme un acte de parasitisme, voire de tromperie, exposant votre projet à une action contentieuse.

Ainsi, reprendre une marque tombée en désuétude n’est pas interdit, mais doit être abordé avec prudence. Il est indispensable d’analyser :

  • si la marque a bien été abandonnée ;
  • s’il existe un usage résiduel pouvant faire obstacle à son appropriation ;
  • et si la reprise ne présente aucun risque en matière de concurrence déloyale.

Chaque situation est particulière : statut du signe, antériorité, risques de confusion, stratégie de dépôt. Tous ces paramètres doivent être analysés pour éviter les écueils et protéger efficacement votre activité.

Le cabinet TLMR dispose d’une expertise reconnue en droit des marques. Nous accompagnons depuis de nombreuses années des entreprises, des start-up, des créateurs et des artistes dans la valorisation, la protection et la défense de leurs actifs immatériels.

Que vous envisagiez de relancer une marque oubliée, de racheter un portefeuille existant, ou de déposer un nouveau signe, notre équipe vous aide à sécuriser votre projet.

Contactez-nous pour bénéficier d’un accompagnement stratégique et opérationnel adapté à vos objectifs, à votre secteur et à l’environnement concurrentiel dans lequel vous évoluez.