Date
19 juin 2024
Par
Henri de la Motte Rouge
À qui appartiennent les droits d'auteur sur un logiciel ?
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À l’ère de la digitalisation massive, le coding et le développement de programmes informatiques sont devenus des enjeux majeurs pour les entreprises. Les logiciels constituent ainsi un actif valorisable pour les entreprises et rémunérateur pour leurs auteurs et développeurs. Néanmoins, il existe en la matière des règles de propriété intellectuelle spécifiques qu’il faut impérativement maîtriser. La cession des droits n’est en effet pas toujours automatique ! Trop d’entreprises ignorent encore qu’elles ne sont pas nécessairement propriétaires des droits d'auteur sur les logiciels développés en leur sein. Une ignorance qui peut coûter cher et être à l’origine de nombreux litiges.
Pour limiter les risques, il est donc essentiel de bien comprendre les subtilités de la réglementation en matière de droit d’auteur d’un logiciel et d’encadrer avec précaution la cession des droits au sein de l’entreprise.
Le logiciel développé appartient à son auteur…
En matière de droit d’auteur, le principe est le suivant : le développeur du logiciel est titulaire des droits sur celui-ci. C’est ce qui découle de l’article art L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), selon lequel « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Bon à savoir : rappelons que la protection du logiciel par les droits d’auteur est soumise à une condition d’originalité (cf l’article Quelle protection pour votre logiciel, dans lequel nous détaillons davantage cette notion).
L’auteur du logiciel détient de fait des droits patrimoniaux (lui permettant d’exploiter le logiciel, le céder ou le concéder) et des droits moraux sur l’œuvre (droit à la citation et au respect de l’intégrité de l’œuvre).
Le CPI prévoit une présomption de la qualité d’auteur qui est attribuée, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l’œuvre a été divulguée (art L113-1). Il s’agit d’une présomption simple, qui peut être combattue par la preuve contraire.
Vigilance : Il faut bien distinguer titularité et qualité d’auteur. Lorsqu’une personne morale divulgue un logiciel, elle est présumée titulaire des droits sur celui-ci. En effet, seule une personne physique peut revêtir la qualité d’auteur.
…sauf si vous êtes employés, salariés, ou fonctionnaire
En matière de logiciel, il existe un régime spécifique prévoyant une dévolution automatique des droits patrimoniaux à l’employeur (article L113-9 CPI). L’employeur est donc automatiquement titulaire des droits d’auteur. Néanmoins, pour cela, les trois conditions suivantes doivent être respectées :
- Il n’existe pas de dispositions statutaires ou stipulations contraires (dans le contrat de travail par exemple) ;
- Le logiciel a été créé par un ou plusieurs employés ;
- Celui-ci a été réalisé dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de l’employeur.
Il est précisé que ces dispositions sont également applicables aux fonctionnaires (art L131-3-1 CPI).
Très important : Cette attribution automatique n’existe qu’en matière de logiciel. Ainsi, pour les autres créations des salariés qui génèrent de droits (logo, contenus écrits, interfaces, contenus, images et réalisations vidéos…), ces derniers appartiennent au salarié tant qu’ils n’ont pas été expressément cédés. Il est donc fortement recommandé de prévoir des cessions de droits larges pour vos salariés.
Qui est titulaire des droits d'auteur sur le logiciel développé par un stagiaire, un mandataire social ou un développeur freelance ?
Le régime prévu pour les salariés et fonctionnaires est un cas particulier. Toute autre personne ayant développé un logiciel original, possède la qualité d’auteur, et est titulaire des droits qui en découlent. C’est le cas notamment des stagiaires, intérimaires, mandataires sociaux ou, de manière générale, de toute personne physique qui ne relève pas du régime du salariat. Ainsi, un stagiaire qui intervient dans votre entreprise ne cède pas automatiquement ses droits contrairement à vos salariés (TGI Paris, 9 juin 1995 Philippe T. / DJCM Maintenance System ; TGI Paris, 6 juin 2008 06/05430). Dans un certain nombre d’entreprises, des stagiaires détiennent donc parfois des droits de propriété intellectuelle sur l’actif le plus important de l’entreprise, sans que cette dernière n’en ait véritablement conscience. Ils peuvent donc à tout moment revendiquer une compensation financière dont le montant est bien plus important que leur maigre gratification de stagiaire.
De nombreux litiges concernent également des associés développeurs, mandataires sociaux ou non, qui en cas de conflits peuvent revendiquer la propriété du code source d’un logiciel. Ils peuvent là encore prétendre à une rémunération supplémentaire souvent beaucoup plus importante que la valeur de leur part sociale (TGI Paris, 3e ch. 6 mars 2001). Pour éviter ces situations qui peuvent être lourdes de conséquences, il est donc indispensable de toujours prévoir un contrat avec vos intervenants, d’autant plus s’ils sont développeurs. L’auteur personne physique peut, en effet, vous céder ses droits patrimoniaux sur l’œuvre dans le cadre d’un contrat de cession des droits d’auteur. La cession de droit de propriété intellectuelle doit cependant remplir les conditions de fond et de forme prévues par la loi, aux articles L131-1 à L136-4 du CPI. Dans, le cas contraire, toute utilisation non autorisée du logiciel, reproduction, représentation sans l’autorisation de l’auteur, pourra être qualifiée de contrefaçon, sur le fondement des articles L335-2 et suivants du CPI.
Droit d'auteur et logiciel : la possibilité d’invoquer l'œuvre collective
En l’absence de cession et si vous avez fait intervenir des freelance et des salariés dans le cadre du développement d’un logiciel, il vous sera toujours possible d’invoquer la création d’une œuvre collective pour prétendre à la titularité des droits.
Trois conditions doivent être respectées :
- Le logiciel a été développé sur l’initiative d’une personne physique ou morale (l’employeur) ;
- Cette personne morale ou physique édite l’œuvre, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ;
- La contribution personnelle des auteurs au logiciel se fond dans l’ensemble du travail collectif, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur celle-ci (L113-2 CPI).
Si ces trois conditions sont effectivement remplies, l’œuvre est alors la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée (L113-5 CPI).
Bon à savoir : La personne morale ou physique n’aura pas à prouver la qualité de cessionnaire des droits d’auteur. Elle n’est titulaire que des droits patrimoniaux (qui lui permettent notamment d’agir en contrefaçon) et en aucun cas des droits moraux, qui restent toujours dévolus aux auteurs.
Dans tous les cas, il est extrêmement important de conserver tous les documents pouvant attester de la titularité du logiciel, et de la date de sa création. Pour cela il existe des mécanismes de dépôt, tels que l’enveloppe SOLEAU ou le dépôt auprès de l’APP (Agence pour la Protection des Programmes) par exemple. Des mécanismes simples et peu coûteux sont également disponibles en ligne.
Pour récapituler, soyez toujours vigilants afin de pouvoir prouver que vous avez créé le logiciel ou que vous êtes bien détenteur des droits (titularité). Il convient également d’accorder une attention particulière à la teneur de vos contrats de cession de droits. Le Cabinet Touati – la Motte Rouge, avocats en propriété intellectuelle, vous accompagne aussi bien en matière de sécurisation de vos droits que de contentieux sur la titularité ou la propriété des droits d’auteur.
Article co-écrit par Henri de la Motte Rouge et Alice Valat