Date
14 janvier 2018
Par
Henri de la Motte Rouge
Sociétés innovantes : attention aux opérations de cession (de fonds)
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Bien souvent les sociétés innovantes et les sociétés du secteur de l’internet qui nous consultent n’ont pas conscience que leurs « deals » (cession de site internet, marques, brevets, logiciels…) peuvent être qualifiés de cession de fonds de commerce ou cession partielle d’actifs.
Ces opérations sont souvent plus complexes qu’elles le paraissent. Il convient d’être particulièrement vigilant d’autant plus que les risques de redressement fiscal sont forts. De fait, l’administration fiscale s’appuyant sur l’article 720 du CGI a une conception extensive de l’application des droits de mutation.
La qualification de fonds de commerce est large puisque elle s’applique à tous les éléments mobiliers corporels et incorporels de la société, constitués en vue d’attirer une clientèle. La clientèle est un élément central de la cession car il ne peut y avoir de cession de fonds de commerce sans cession de clientèle.
Ainsi, la cession d’un site e-commerce peut recevoir la qualification de cession de fonds de commerce, bien que la question du cyber fonds de commerce reste controversée y compris dans la jurisprudence.
Par précaution, et surtout si le site a une certaine notoriété, il est recommandé de suivre, pour les cessions de site internet, les formalités légales propres à la cession de fonds prescrites par le Code de commerce. Cela évitera les risques de nullité et sécurisera l’opération pour le vendeur comme pour l’acquéreur.
La vente d’un fonds de commerce ou de clientèle est soumise à de nombreuses mentions obligatoires dans le contrat de cession, mais aussi à des formalités d’enregistrement et de publicité, ainsi qu’au paiement de droits de mutation.
À mon sens au-delà de ces formalités classiques, les sociétés innovantes ou du secteur IT doivent être très vigilantes sur deux points particuliers liés à ce secteur.
Cession d’éléments de propriété intellectuelle
Les brevets d’invention, les marques, les dessins et modèles industriels, les logiciels et les droits de propriété littéraire et artistique constituent des éléments du fonds de commerce. Ils seront cédés avec le fonds à condition d’avoir fait l’objet d’une désignation expresse dans le contrat de cession.
Attention certaines cessions de fonds pourront entraîner directement le transfert de la marque, bien que la marque ne soit pas désignée dans l’acte de cession. Ce sera le cas si la marque est considérée par son importance comme le facteur de ralliement de la clientèle du fonds. Quant aux brevets, le juge recherchera l’intention des parties et si l’exploitation du fonds est indissociable de celle des brevets.
Par ailleurs, cédés de manière autonome, les brevets et les marques peuvent également être soumis au régime fiscal de la cession de fonds (droit de mutation). Ce sera le cas, dès lors que leur exploitation ou leur notoriété, fait présumer l’existence d’une clientèle propre attachée à la marque ou au brevet.
Dans tous les cas, pour être valables et opposable aux tiers, les cessions de marque et de brevet devront faire l’objet d’un contrat écrit et d’une publicité auprès des registres de l’INPI ainsi que du paiement des droits fixes (125€).
Plus généralement, les droits de propriété intellectuelle font souvent l’objet de licence. Pour tous les contrats il conviendra de vérifier précautionneusement l’étendue des droits concédés, leur cessibilité et réaliser les formalités légales destinées à rendre opposable la cession aux tiers.
Cession de fichiers et bases Clients
On l’a vu, la clientèle est la finalité du fonds de commerce. La cession des fichiers, élément du fonds de commerce et enjeu particulier sur internet, mérite une attention particulière. La Cour de cassation a récemment rendu le 25 juin 2013 une décision dont la solution peut permettre de remettre en cause de nombreuses acquisitions du secteur de l’internet. Les vendeurs doivent désormais être très attentifs.
Dans cette affaire, une société a vendu à une autre, un fichier client non déclaré à la CNIL. L’acquéreur, souhaitant se voir rembourser le montant de la cession a remis en cause la validité de la vente de ce fichier. La Cour de cassation lui a donné raison et a annulé la vente en considérant que tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL et que la vente par la société d’un tel fichier n’ayant pas été déclaré, n’était pas dans le commerce et avait un objet illicite.
Dès lors, la vente de base de données ou de fichiers clients, business en plein essor à l’heure du big data, peut dorénavant être systématiquement remise en cause par l’acquéreur si la base n’a pas fait l’objet des formalités CNIL.
Les sociétés amenées à vendre leur base de donnée ou s’appuyant sur un fichier client important devront préalablement à toute cession veiller aux formalités CNIL et intrinsèquement à la licéité de leur collecte.