Date
11 décembre 2023
Par
Henri de la Motte Rouge
Développement Personnel et Dérives Sectaires : quelles précautions prendre ?
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Santé, bien-être, féminin sacrée, recherche du bonheur, mouvements religieux, dérives complotistes, survivalisme, sororité, masculinisme, le nombre de mouvements alternatifs qui pourraient constituer des dérives sectaires ne cessent de progresser en France. Elles sont, depuis plusieurs années déjà, dans le viseur des autorités. Les thérapies alternatives et les conseils en développement personnel peuvent être des portes d’entrée dans ce type de dérives, où manipulations et emprises sont à l'œuvre. Pour ne pas être considérée comme sectaire, votre activité de coaching ou de développement personnel doit impérativement s’exercer dans certaines limites. Le cabinet Touati La Motte Rouge Avocats revient sur le lien entre développement personnel et dérives sectaires et fait le point sur les précautions à prendre.
Les dérives sectaires en quelques chiffres
Le rapport 2022 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) est sans ambiguïté : l’augmentation de ce phénomène ces dernières années est significative.
Le rapport mentionne ainsi 4020 signalements en 2021 contre 3 008 signalements en 2020, soit une hausse de plus de 33 % en un an. Une vingtaine de signalements ont, effectivement, fait l'objet de procédures pénales.
Dans le détail, l’organisme précise que :
- 20 % des signalements concernent la santé, dont 70 % sont liés à des pratiques de thérapies non conventionnelles.
- 10 % des saisines sont relatives à des mineurs.
- 4 % concernent le complotisme et le mouvement antivax.
Comme l’année précédente, les tendances sont les suivantes :
- La santé, le bien-être et le développement personnel sont les secteurs les plus concernés par l'emprise sectaire.
- Les théories complotistes et les courants apocalyptiques sont en progression en France.
- Les mineurs et les personnes âgées sont de plus en plus victimes du phénomène.
- Le phénomène est davantage présent sur Internet.
Quel est le lien entre développement personnel et dérives sectaires ?
Qu’est-ce que le développement personnel ?
Il n’existe pas de réponse stricte et simple à cette question. Il s’agirait d’un ensemble de démarches visant à l’épanouissement et à la réalisation de la personne. Un coach en développement personnel fournit ainsi des conseils personnalisés à un individu de manière à répondre, de la meilleure façon possible, à ses besoins personnels et professionnels en fonction d’objectifs précis. Il accompagne donc ses clients dans le développement de leurs compétences.
Qu’est-ce qu’une dérive sectaire ?
La MIVILUDES définit la dérive sectaire comme :
“Un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société”.
Ainsi, une dérive sectaire se caractérise par le regroupement des éléments suivants :
- Une atteinte à l’ordre public, aux lois, aux droits fondamentaux ou à la sécurité et/ou à l'intégrité des personnes.
- La mise en place par un groupe ou un individu isolé (gourou) de pressions ou de techniques ayant pour but de priver la personne de son libre arbitre.
- Ces agissements ont des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.
Qu’est-ce qu’une pratique non conventionnelle à visée thérapeutique (PNCAVT) ?
Il s’agit tout simplement de promesses et de recettes de guérison, de bien-être et de développement personnel en décalage avec les techniques et connaissances scientifiques reconnues.
Qu’est-ce qu’une dérive thérapeutique sectaire ?
Elles s’appuient pour la quasi-totalité d’entre elles sur un personnage charismatique ne possédant généralement aucune formation en matière de santé. Leurs références idéologiques sont souvent très similaires et reposent sur le rejet de la médecine conventionnelle.
Bon à savoir : la qualification professionnelle ne supprime pas le risque de dérives sectaires. Certains médecins ou anciens professionnels de santé se livrent eux-aussi à des pratiques pouvant relever de dérives sectaires. On peut citer l’exemple de Jean Lefoll, chirurgien-dentiste, qui préconise l’ingestion de trois acides pour traiter le cancer ou encore de la méthode Simoncini, popularisée par un médecin du même nom. Selon lui, le bicarbonate de soude suffit pour vaincre le cancer.
La dérive thérapeutique sectaire regroupe donc à la fois les caractéristiques PNCAVT et des pratiques sectaires. Voici les critères que nous pouvons dégager :
- La dérive thérapeutique fait adhérer le patient à une croyance ou à un nouveau mode de pensée.
- Elle implique un rejet de la médecine et des connaissances conventionnelles, responsables de retarder la guérison ou d’être à l’origine de la maladie ou du mal-être de la personne.
- Elle pousse à l’isolement de la personne : la personne est éloignée de ses proches.
- Elle encourage le “patient” à acheter un certain nombre d’ouvrages, de livres, de stages, de produits, etc.
- Elle supprime le discernement du “patient” : le manipulateur lui retire son esprit critique, en partageant bien souvent sa propre expérience de la vie et une nouvelle vision du monde. La victime perd peu à peu son libre arbitre.
Quelques exemples concrets de dérives sectaires
Au cours de ces dernières années, de nombreuses dérives ont été constatées, dans des domaines très variés. Parmi les doctrines qui prétendent guérir le cancer, on trouve, par exemple, celle d’Alain Scohy, condamné en 2002. Celui-ci proposait de soigner le cancer par un traitement à base de jus de citron.
Plus récemment, Thierry Casasnovas, fervent adepte du crudivorisme, assurait pouvoir soigner le Covid-19 grâce à un bain froid, un jus de carotte et un jeûne. Après des signalements et une enquête, l’homme a finalement été mis en examen le 10 mars 2023 pour abus de confiance, faux et usage de faux, exercice illégal de la médecine, et de la pharmacie, pratiques commerciales trompeuses, abus de biens sociaux, blanchiment et abus de faiblesse.
De la même façon, divers groupes prônent la guérison à partir de la seule volonté des patients ou d’une modification de l’alimentation. De nombreuses condamnations judiciaires ont d’ailleurs été prononcées. Citons par exemple, les six membres de l’association Joie et Loisirs, condamnés en 2006 pour pratiques illégales de la médecine ayant entraîné la mort de trois enfants. Ces derniers pratiquaient une hygiène alimentaire déséquilibrée, dont les conséquences sur l'organisme étaient catastrophiques.
Enfin, plusieurs méthodes de développement personnel ont été qualifiées de sectaires. Le concept de l’enfant Indigo développé par le mouvement Kryeon ou encore le mythe de l’enfant parfait sont autant de démarches considérées en France comme des dérives sectaires. D’autres, comme la PNL par exemple, sont également suivis de près par la Miviludes qui constate régulièrement des dérives.
Comment éviter la dérive sectaire de son activité de développement personnel ?
Éviter les pratiques pouvant induire une dérive sectaire
Cela peut paraître évident. Pourtant, la frontière entre une pratique de développement personnel classique et une dérive sectaire est parfois floue.
Dans le cadre de votre activité de développement personnel, vous devez bannir toutes les démarches visant à :
- Une déstabilisation mentale.
- Des demandes financières exorbitantes.
- Une rupture de votre client avec son environnement d’origine et sa famille.
- Une atteinte à l’intégrité physique.
- Un discours antisocial.
- Des troubles à l’ordre public.
Par conséquent, en pratique, si vous proposez des activités de développement personnel comme des stages, des retraites ou des formations, vous devez impérativement être vigilants sur les points suivants :
- La vulnérabilité des personnes que vous accompagnez : attention aux personnes en situation de troubles psychologiques ou physiques et qui présentent des vulnérabilités (mineurs, personnes âgées et fragiles, etc.).
- La situation d’emprise que vous pouvez avoir sur ces personnes : vous devez vous abstenir d’intervenir dans leurs choix (traitements médicaux, choix de vie conjugale, etc.).
- La liberté des personnes que vous accompagnez : votre accompagnement doit avoir un début et une fin.
- Les promesses que vous faites : elles doivent être transparentes, réalistes et non trompeuses. Elles doivent conduire à la croissance personnelle et à l'autonomisation. Elles ne doivent, en aucun cas, reposer sur des résultats miraculeux.
- Les prix que vous pratiquez : ils doivent être transparents et raisonnables. Des tarifs excessivement élevés peuvent être perçus comme une tentative d’exploitation.
La loi About-Picard, du 12 juin 2001, a renforcé la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Cette loi a notamment pour objectif de protéger les personnes vulnérables des offres en matière de cures de purification ou de jeûnes prolongés.
L'article 223-15-2 du Code pénal prévoit ainsi une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende pour toute personne coupable :
“d’abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables”.
Cet article du Code pénal vise directement les groupements sectaires en portant à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende les peines encourues par les dirigeants de fait ou de droit d'un groupement :
“qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités”.
Évidemment, il convient également d’éviter toutes infractions au Code pénal relevant, par exemple, de la non-assistance à personne en danger, de l’escroquerie ou encore de l’abus de confiance.
Par ailleurs, en cas de doutes ou de difficultés, vous devez mettre en place une politique de remboursement facilité. Celle-ci limite les risques de litiges et renforce le sentiment de liberté des participants.
Enfin, vous devez être très vigilant à tout comportement qui pourrait avoir une dimension sexuelle ou constituer un danger pour la santé ou l’intégrité physique ou morale des personnes.
Ne pas se présenter comme médecin, soignant ou guérisseur
Un coach en développement personnel n’est pas un médecin et ne soigne pas. Votre travail ne doit pas consister à établir des diagnostics, à proposer des traitements ou à soigner des maladies.
Qu’est-ce que la pratique illégale de la médecine ?
L’article L.4161-1 du Code de la santé publique définit la pratique illégale de la médecin comme :
“toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient, ou pratique l’un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé prise après avis de l’Académie nationale de médecine, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l’exercice de la profession de médecin”
ou encore
“toute personne qui, munie d’un titre régulier, sort des attributions que la loi lui confère”.
Par ailleurs, vous devez veiller à ne pas utiliser un titre protégé par la loi (médecin, masseur kinésithérapeute, sage-femme, pharmacien, infirmier, ostéopathe, psychologue, diététicien, biologiste médical, chiropracteur, ergothérapeute et psychothérapeute). L’usurpation de titre est, en effet, une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende par l’article 433-17 du Code pénal.
Dans le cadre de votre communication et de vos services, vous devez donc éviter de créer le moindre doute sur vos qualifications et votre activité.
Attention aux pratiques commerciales trompeuses et aux promesses de soin ou de guérison
"sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet : […] 16° D'affirmer faussement qu'un produit ou une prestation de services est de nature à guérir des maladies, des dysfonctionnements ou des malformations".
En conséquence, si vous n’êtes pas un professionnel de santé, vous devez prohiber tout élément suggérant que vous pouvez guérir des maladie, cancer, dépression ou autre. Votre discours ne doit pas encourager les consommateurs à abandonner les traitements traditionnels.
Cette remarque est valable pour vos pages de vente et l’ensemble de vos outils de communication (instagram ou autre). La même prudence s’impose si vous dispensez des formations à une pratique. Vous devez indiquer le cadre réglementaire applicable à cette pratique. Il est également préférable d’attirer l’attention de vos élèves sur les risques relatifs à l’exercice illégal de professions de santé et à l'usurpation de titres.
En revanche, vous pouvez utiliser le terme “soin” ou "purification", dès lors qu’il n’est pas en rapport avec une promesse de guérison. Vous pouvez également apporter tout élément scientifique démontrant un effet bénéfique d’une pratique que vous proposez (exemple : sport, jeune, méditation, etc.).
Enfin, si vous dispensez vos soins au sein d’un établissement de santé, assurez-vous que vos clients ont bien conscience de votre non appartenance au corps médical. Ne créez pas une confusion dans l’esprit du consommateur sur la nature de votre prestation. Pour cela, évitez d'installer une plaque professionnelle trompeuse (contenant notamment un caducée) et n’exposez pas d’ouvrages médicaux dans votre salle d’attente.
Bon à savoir : attention aux séances de soin à distance
Certaines pratiques (comme le Reiki ou la réflexologie) nécessitent un contact physique entre le professionnel et le consommateur. Des séances à distance peuvent être perçues comme une dérive ou, du moins, soulever des questions.
Dans une soci été en perte de sens et de repères, les spiritualités alternatives, tout comme les médecines traditionnelles, se développent et gagnent en popularité sous l’influence des réseaux sociaux. La recherche et la connaissance de soi sont consubstantielles à l’homme, tout comme la volonté de répondre à certaines questions où la science a ses limites. Dans ce cadre, les croyances peuvent offrir des perspectives (mort, dieu, maladies, etc.) et apparaître comme un soutien.
S’il existe certaines dérives, de nombreuses activités apportent des bénéfices et ne mettent en place aucun mécanisme d’emprise. Néanmoins, compte tenu de la sensibilité sur ces sujets et des risques réels de “dérives sectaires” ou d’infractions pénales, la prudence s’impose. Pour sécuriser votre activité de développement personnel, contactez le cabinet Touati La Motte Rouge Avocats. Si besoin, nous vous aiderons à mettre en place les recadrages nécessaires, en cas de risque de “dérive sectaire” de votre organisation.