Date
28 novembre 2021
Par
Henri de la Motte Rouge
Quels sont les enjeux juridiques des NFT ?
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Depuis plusieurs mois, le marché des Non Fungible Tokens (NFT) a littéralement explosé. En témoigne une vente chez Christie’s en mars 2021 d’une œuvre numérique de l’artiste Beeple, vendue sous forme de NFT, pour la modique somme de 69,3 millions de dollars. Un record ! Utilisés pour formaliser la propriété d’un objet numérique (art, jeux vidéos et même tweets sur les réseaux sociaux), ces jetons sont à l’origine d’un véritable bouleversement économique et légal. De nombreux entrepreneurs du web ont désormais lancé des projets NFT. Si cet actif devrait connaître un succès retentissant ces prochaines années, son émission et son commerce soulèvent de nombreux enjeux juridiques. Le cabinet Touati La Motte Rouge, avocats spécialisés en NFT, vous explique tout en détail.
Qu’est-ce qu’un NFT exactement ?
En Français, le terme signifie « jeton non fongible ». Revenons plus longuement sur la signification de « fongible » pour mieux comprendre ce que recouvrent les NFT. Cet adjectif se définit comme toutes les « choses qui se consomment par l’usage et qui peuvent être remplacées par des choses de même nature, de même qualité et de même quantité ». Par conséquent, un actif fongible peut s’échanger avec un bien de même valeur. La monnaie est le bien fongible par excellence. Un billet de 10 euros équivaut à un autre billet de 10 euros. Un actif fongible peut être divisé. Il peut donc y en avoir une offre illimitée. Un actif non fongible est au contraire une pièce unique. Une peinture originale, un terrain ou une maison sont des biens non fongibles.
Les NFT garantissent, sur base de la technologie de la blockchain, la propriété exclusive d’un actif numérique (œuvre d’art, un achat dans un jeu vidéo ou un tweet) dont la valeur marchande fluctue. Il agit donc comme un certificat de propriété virtuel. Les enjeux économiques des NFT sont énormes. En effet, en matière de mode ou d’art par exemple, ils peuvent permettre de garantir l’authenticité d’une création ou d’une œuvre. Il s’agit donc d’un moyen de lutte efficace contre la contrefaçon.
En pratique, voici comment fonctionnent les NFT : une personne associe une œuvre à un programme informatique (smart contract) sur lequel il appose sa signature numérique. Ce contrat est alors enregistré dans la blockchain afin de créer un jeton (cette opération est souvent appelée minting). Le NFT est ensuite transféré à l’acheteur contre rémunération.
Il faut noter que l’artiste est libre d’attacher ou non des droits de propriété intellectuelle à un NFT. En tant que tel, l’achat d’un NFT n’assure en aucune façon le transfert de droits patrimoniaux de propriété intellectuelle liés à l’œuvre concernée. Il faut en effet garder en tête que l’acquéreur de NFT ne devient pas propriétaire de l’œuvre elle-même mais uniquement du jeton qui lui est associé (c’est-à-dire de la reproduction de l’œuvre dans la blockchain).
Bon à savoir : les NFT célèbres. Jack Dorsey, PDG de Twitter, a mis en vente son tout premier tweet à 2,5 millions de dollars. L’artiste canadienne Grimes a proposé à la vente une collection d’œuvres numériques pour 6 millions de dollars. Une animation de Donald Trump, nu, raillé par un oiseau bleu, a également été acquise pour 6,6 millions de dollars. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres.
Les enjeux liés à la définition juridique des NFT
Il n’existe actuellement aucune réglementation juridique applicable aux NFT. Leur régime légal évolue en fonction des droits attachés au NFT par l’émetteur.
Les NFT en tant qu’utility token
Il s’agit de NFT contenant des droits opposables aux tiers. Par exemple, le jeton peut être échangé contre des produits ou des bons de réduction. Les utility tokens sont définis par les articles L54-10-1 et L552-2 du Code des marchés financiers.
Les NFT en tant qu’instrument financier
Le NFT permet à l’acquéreur de disposer de droits financiers. Il s’agit alors de security tokens tels que définis aux articles L211-1 et D211-1 A du Code des marchés financiers.
Les NFT en tant que bien divers
Les NFT sont presque toujours des placements, susceptibles de revente. Selon la complexité des droits attachés au token, celui-ci peut entrer dans la définition des biens divers des articles L551-1 et suivants du Code des marchés financiers.
Des qualifications aux conséquences juridiques variables
Chaque qualification entraîne l’application d’un régime juridique différent et parfois très contraignant. C’est un élément essentiel à prendre en compte lors de la création des NFT. En cas de qualification d’utility token, le NFT doit être perçu comme un actif numérique. Dès lors, les services rendus au travers du NFT doivent être réalisés par un prestataire de services sur actifs numériques (PSAN). Dans certains cas de figure, ce prestataire doit impérativement être enregistré auprès de l’AMF. Cette procédure est relativement longue et coûteuse.
En cas de qualification de security token, les NFT et les services attachés relèvent des services d’investissement au sens de l’article L321-1 CMF, proposés par un prestataire de services d’investissement au sens de l’article L531-1 du Code des marchés financiers. Ils nécessitent l’obtention d’un agrément auprès de l’ACPR. Enfin, les NFT considérés comme un bien divers impliquent certaines exigences relatives notamment au prestataire (enregistrement auprès de l’AMF, documentation des opérations).
Bon à savoir : les NFT sont-elles une crypto-monnaie ? Si les NFT sont la plupart du temps échangés contre de la crypto-monnaie. ils s’en distinguent absolument. Les crypto-currencies sont en effet fongibles contrairement aux NFT. Un bitcoin vaut toujours un autre bitcoin. Les NFT sont uniques. Leur valeur varie donc en fonction du marché.
Les enjeux juridiques des NFT en matière de droit d’auteur
Quel est le risque des NFT en matière de droit d’auteur ?
Par principe, la blockchain est décentralisée et libre de contrôle. Aucun organisme ne vient donc vérifier l’identité des personnes s’appropriant une œuvre numérique en créant un NFT à son nom. Récemment, le projet du groupe Global Art Museum a mis en lumière les risques éventuels liés aux NFT en matière de droit d’auteur. Son objectif était d’associer des NFT à des numérisations d’œuvres appartenant à différents musées. L’association des jetons a cependant été réalisée sans l’autorisation des propriétaires des œuvres, créant ainsi l’émoi dans les musées concernés.
Par ailleurs, si la blockchain offre un historique infalsifiable de tous les échanges du NFT depuis sa création, elle ne permet pas aux acheteurs d’obtenir des garanties sur l’authenticité de l’œuvre associée. On comprend aisément au regard de ces constats que le risque de contrefaçon en matière de NFT est très élevé.
Quelles sont les solutions pour garantir l’authenticité des NFT ?
Le recours à des plateformes sécurisées et exigeantes
Le NFT ne permet donc pas de garantir le lien entre l’œuvre associée et l’auteur. Pour remédier à cette difficulté, il est possible d’utiliser des plateformes NFT exigeant au préalable une démonstration de la notoriété de l’artiste. A contrario, les créateurs de NFT sont invités à fuir impérativement les plateformes numériques faisant reposer la responsabilité sur l’acheteur de NFT en refusant de garantir leur achat contre les imitations.
Faire appel aux services d’un huissier
Un huissier peut également intervenir pour constater l’authenticité de l’œuvre ou le processus de création du NFT. Ce constat d’huissier peut être inséré dans la blockchain et associé au NFT permettant ainsi aux acheteurs de bénéficier de toutes les garanties nécessaires. Cette traçabilité permet par ailleurs de renforcer la valeur du NFT.
Inclure une signature électronique de l’artiste dans le NFT
Pour assurer l’authenticité, une dernière solution consiste à inclure dans le NFT la signature électronique de l’auteur accompagné du certificat d’authentification de l’œuvre.
Les enjeux fiscaux des NFT
La question de la qualification fiscale des NFT se pose également. En effet, en fonction de leur contenu, ces jetons non-fongibles ne subiront pas le même régime d’imposition. Si le NFT est un actif numérique, il doit être soumis à l’article 150 VH bis du Code général des impôts. Il n’est alors imposé que lors de sa revente à un taux de 30 % (flat tax à laquelle s’ajoutent 17,2 % de prélèvements sociaux).
Si au contraire, le NFT est perçu comme une œuvre d’art en tant que telle, il doit être soumis au régime fiscal des œuvres de l’esprit. Les articles L-111 et suivants du Code de la propriété intellectuelle n’incluent pas spécifiquement les NFT. Pourtant, la définition des œuvres de l’esprit est subjective. Difficile donc d’exclure les jetons non fongibles du champ d’application du CPI de manière catégorique. Le débat sur ce point reste donc ouvert.
Pour exploiter pleinement le potentiel du NFT, il est nécessaire d’anticiper dès l’élaboration de votre projet l’ensemble de ces enjeux. Réfléchir au contenu associé à son NFT est fondamental afin d’évaluer l’ensemble des conséquences en termes juridiques, économiques et fiscales. Si vous faites partie des acquéreurs d’un de ces jetons, évaluer avec précaution l’étendue de votre investissement et ses conséquences. Dans tous les cas, il est indispensable de faire appel à un avocat spécialisé en propriété intellectuelle et droit du numérique pour vous accompagner dans votre projet.