Date
26 mars 2024
Par
Henri de la Motte Rouge
Influenceur et Droit des Mannequins : Attention à la Requalification en Contrat de Travail !
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Au cours de cette dernière décennie, le marketing d'influence a connu une croissance fulgurante sur les réseaux sociaux. Le 9 juin 2023, une étape majeure a été franchie avec l'adoption par le législateur d'une loi, destinée à réguler les pratiques de ces nouvelles icônes du web. Cette législation vise principalement à instaurer une plus grande transparence et à réglementer la promotion de certains produits, dans le but de responsabiliser les influenceurs et de prévenir les abus. Cette loi passe toutefois à côté d'une question essentielle : l’influenceur doit-il être considéré comme un mannequin ? Quelles seraient les conséquences d’une telle requalification ? Réponses avec le cabinet d’avocats Touati La Motte Rouge.
L’influenceur est-il un mannequin ?
Différence entre influenceur et mannequin
À première vue, considérer le travail d’un influenceur comme une simple promotion de produits moyennant le versement d'une contrepartie est sans doute réducteur. Le marketing d’influence consiste, en effet, à “utiliser le potentiel de recommandation et la notoriété d’un influenceur pour faire la publicité d’un produit ou d’une marque”.
La définition donnée par loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux va dans le même sens. Contre rémunération ou avantages en nature, les influenceurs “mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer” en ligne “des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque”. Ils apportent donc à la promotion de produits une touche personnelle, voire même des éléments créatifs.
Le placement de produit réalisé par l’influenceur semble donc relever davantage d’une création de contenu que d’une prestation réalisée dans le cadre d’un cahier des charges défini de manière stricte comme semble le supposer le travail de mannequin. Ce dernier n’inclut, en effet, aucune liberté dans la présentation du produit et se limite à l’exécution d’une prestation entièrement délimitée par la marque.
Bon à savoir : L’influenceur est-il un artiste interprète ?
Le contrat conclu entre une marque et un influenceur peut prévoir la participation à un tournage vidéo, organisé par la marque. Cette vidéo est ensuite publiée sur les réseaux sociaux de l’influenceur. Dans ce cas de figure, l’influenceur change de statut pour enfiler le costume d’artiste. S'il joue un rôle dans la production de la marque, il pourra même être qualifié d’artiste-interprète. Il est alors présumé agir dans le cadre d’un contrat de travail (article L.7121-3 du Code du travail).
Influenceur et mannequin : un risque réel de requalification
L’article L.7123-2 du Code du travail définit l’activité de mannequin de la manière suivante :
“Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image”.
Au regard de cette définition, l'activité de l’influenceur peut, dans bien des cas, être assimilée à celle d’un mannequin. Elle tombe alors dans le champ juridique de ce dernier.
Cette requalification est d’autant plus probable que, ces dernières années, la jurisprudence a appliqué de manière extensive le statut de mannequin à des sportifs professionnels. Dans plusieurs arrêts de 2021 et 2022, la Cour de cassation a ainsi considéré que ces derniers, liés par un contrat de sponsoring a une marque et chargés de porter des vêtements ou accessoires de celle-ci dans le cadre de leur activité sportive, devaient être considérés comme des mannequins. Le raisonnement tenu par la Cour de cassation semble pouvoir être transposé sans trop de difficulté aux influenceurs.
Le chemin est donc tout tracé pour la requalification du statut de l’influenceur. À noter que le risque se renforce si la marque organise elle-même les séances de prise de vue avant la publication sur le compte social ou si elle dicte un scénario bien précis à l’influenceur. Dans ce cas de figure, la qualification de salarié semble être quasi systématique.
Influenceur mannequin : quelles conséquences ?
La requalification du contrat d’influence en contrat de travail
Si l’influenceur est perçu comme un mannequin, sa promotion d’un produit sur Instagram, Facebook ou encore TikTok entre dans le champ d’application de la présomption instituée par les articles L. 7123-2 et suivants du code du travail.
L’article L.7123-3 du Code du travail prévoit en effet que tout “contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail”. Le texte précise, par ailleurs, que cette présomption de salariat ne dépend :
- Ni du mode et de la nature de la rémunération de l’influenceur ;
- Ni de la qualification donnée au contrat par les parties.
La seule solution pour le sponsor d’échapper à cette requalification est de renverser cette présomption en apportant la preuve de l’absence de lien de subordination. Une démarche complexe, d’autant, qu’en vertu de l’article L-7123-4, il ne suffit pas de démontrer que le mannequin influenceur conserve une entière liberté d'action pour l'exécution de son travail de présentation. La présomption semble donc solidement ancrée et difficile à retourner.
Les obligations à charge de la marque
Les conséquences pour les marques de cette requalification sont majeures. Si l’influenceur est considéré comme mannequin, elles doivent remplir l’ensemble des obligations prévues par le Code du travail découlant d’une relation contractuelle de travail :
- Déclaration à l’URSSAF au moment de l’embauche ;
- Inscription de l’influenceur sur le registre unique du personnel ;
- Établissement des bulletins de paie ;
- Versement de salaire minimum conformément à l’article L. 7123-7 du Code du travail ;
- Suivi médical (l’article L. 7123-2-1 du Code du travail) ;
- Droit à une indemnité compensatrice de congés payés pour chacune de ses prestations ;
- Etc.
Comment éviter la requalification du statut d’influenceur ?
Actuellement, la possibilité d'une requalification en tant que mannequin représente un enjeu majeur, particulièrement en raison de la législation du Code du travail qui tend à privilégier le régime salarial.
Il est primordial de prendre en considération le statut professionnel de l'influenceur dès le début de la relation contractuelle.
La formulation du contrat nécessite une attention méticuleuse, avec des clauses qui garantissent une autonomie substantielle à l'influenceur dans ses méthodes de communication. L'objectif est clairement de prévenir l'établissement de tout rapport de subordination entre l'influenceur et la marque commanditaire.
La structuration de la rémunération requiert aussi une approche rigoureuse, afin de se distancer clairement de la notion traditionnelle de salaire.
Enfin, il est primordial, notamment dans la mise en œuvre du contrat, de veiller à éviter toute implication qui pourrait suggérer une intégration de l'influenceur au sein de l'entreprise.
Pour parvenir à un contrat limitant les risques de requalification, il est indispensable d’être accompagné par un avocat expérimenté et conscient de ces enjeux. Besoin de conseils ? Contactez sans tarder le cabinet Touati La Motte Rouge.